Résumé des épisodes précédents :
EPISODE 1 : alors que la crise rebat les cartes et va pousser tous les acteurs à se recentrer sur leur essentiel, les Directeurs Innovation peuvent avoir un rôle clé à jouer dans la réinvention de leur entreprise. Ils vont pour cela devoir dépasser les effets de mode et prouver leur utilité. Mais comment ? Pour lire l'article c'est ICI
EPISODE 2 : si gérer l’incertitude fait partie du modèle de fonctionnement et de décision des entreprises, apprendre aujourd’hui à avancer dans l’inconnu est une autre paire de manches. Il s'agit pourtant d'un sujet au cœur de la mission d'une Direction Innovation. Ça tombe plutôt bien non ? Pour lire l'article c'est ICI
Poursuivons aujourd’hui notre aventure dans “l’innovation du monde d’après” en compagnie des meilleurs des guides : les aphorismes d’entreprise et autres clichés que l’on croit connaître par cœur mais qui recèlent souvent bien des pépites. Même usés ou détournés, leur force d’évidence offre toujours des points d’appui utiles à la réflexion et un fond de vérité que nous allons chercher ici. D’ailleurs le titre de notre série d’articles en contient deux exemples. Nous vous laissons trouver les 9 autres disséminés dans la suite du texte (astuce : ils seront souvent entre guillemets et en gras).
Nous avons déjà à plusieurs reprises utilisé le terme de “théâtre de l’innovation” pour dénoncer ce qui aujourd’hui ne marche généralement pas quand les entreprises s’y essaient. Ce poncif permet de renvoyer immédiatement à la superficialité perçue de beaucoup d’initiatives sur le sujet, ou au procès en utilité souvent fait à l’innovation (coucou le voyage annuel des dirigeants au CES 😁). Mais derrière la critique facile, un certain nombre de mécanismes sont à l’œuvre et les identifier est la clé pour les dépasser.
Car “la folie c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent” (Albert Einstein).
Et si le terme de “théâtre” renvoie au jeu de paraître et à la poudre aux yeux de certaines initiatives, ce qui nous intéresse ici est plutôt la coulisse, ce qui se passe quand une entreprise grandit, s’éloigne de son “étincelle initiale” (à ce sujet nous vous conseillons l’article de notre collègue Loïc Lamarlère ici), perd de vue son environnement et ses clients pour se concentrer sur son fonctionnement. On retrouve la dualité exploitation vs exploration décrite dans notre précédent post, et c’est ce que raconte également Steve Blank dans cet excellent article : délaissant son centrage client et produit, une entreprise qui réussit va chercher à minimiser le risque tout en reproduisant le plus efficacement possible son succès via des process. En dernier lieu elle pourra même tenter de protéger son terrain de jeu en installant une rente sous la protection de multiples barrières juridiques et administratives.
On voit ici le rapport inversé à l’innovation qui se met progressivement en place alors que le système se structure. Mais ce qui est intéressant au-delà de ce constat est le mécanisme de réaction lui-même lorsqu’un événement, la plupart du temps extérieur, vient secouer l’édifice et oblige à se poser la question de l’innovation (ou de la réinvention, ou de “l’agilité retrouvée”, …).
Telle ses cadres un peu enrobés après une année de réunions et qui se mettent au régime juste avant l’été, l’entreprise se lance alors frénétiquement dans diverses manœuvres qui aboutissent au fameux théâtre que nous évoquons depuis le début. Il se joue généralement en trois actes, toujours selon Steve Blank :
Acte 1 : on conçoit une réorganisation, souvent du fonctionnel au matriciel, censée apporter plus d’agilité et “casser les silos”. C’est le théâtre de l’organisation.
Acte 2 : on met en place des activités d’innovation (hackathons, ateliers d’idéation, …) pour faire bouger la culture de l’entreprise et donner aux équipes des outils nouveaux. C’est le théâtre de l’innovation en tant que tel.
Acte 3 : on prend conscience que les processus et KPIs au cœur des fonctionnements de l’entreprise sont eux-mêmes un frein et on tente de les simplifier. C’est le théâtre des processus.
Chacun de ces actes porte en soi une part de réponse à la problématique qui nous occupe. Et pourtant aucun ne donne de résultats probants. Pourquoi ?
Parmi les réponses possibles, il en est une que nous tenons pour particulièrement vraie chez Balthazar : “Il n’est de vent favorable pour celui qui ne sait où il va” (Sénèque)
Mais mais mais, me direz-vous, comment savoir où l’on va quand on innove alors que le principe de l’innovation est justement d’explorer l’inconnu pour savoir où aller ? Derrière cet apparent paradoxe émerge en fait une autre question : comment explorer l’inconnu, en particulier dans notre “monde VUCA et disrupté” ? Dans cette situation deux écueils apparaissent : la dispersion et le mimétisme. Parfois ils se combinent : dans le foisonnement des possibles, il va être tentant de multiplier les projets à risque unitaire perçu comme faible, tout en essayant de copier le voisin d’à côté qui a l’air de savoir ce qu’il fait (l’exemple des Grandes Boutiques Orange inspirées des Apple Store). Or partir à l’aventure, ce n’est pas aller dans tous les sens ni suivre le bateau d’à côté.
Ce qu’il faut c’est une boussole qui donne la direction générale et qui aura la force de l’évidence pour l’entreprise et ses collaborateurs : “oui c’est vers là que nous devons aller”. Et qui serve aussi de référence pour savoir quand s’arrêter : “nous avons trouvé le terrain unique et propice à notre entreprise et aucune autre”. Innover avec une telle boussole revient à enraciner l’innovation dans les principes fondateurs de l’entreprise, lui donner une prise et un but sans commune mesure avec le théâtre désincarné qu’elle peut parfois être.
Mais comment trouver cette évidence, cette sorte de martingale qui semble faire marcher sur l’eau des entreprises comme Tesla, l’Apple des années 2000 ou plus proche de nous la MAIF qui a décidé de centrer ses processus sur la confiance, à rebours d’un secteur plutôt enclin au contrôle ? Toutes ces entreprises qui, dans des environnements bouleversés, ont su et savent toujours prendre des décisions qui pouvaient paraître “folles” ou contre intuitives mais ont au final développé une proposition de valeur singulière reconnue par le marché.
Cette boussole, c’est la raison d’être de votre entreprise. Qui a la force de l’évidence, comme nos fameux poncifs. Mais qui ne doit surtout pas en être un si elle veut être utile et puissante. Nous vous renvoyons ici à un excellent article écrit par notre collègue Miles Frydman sur les pièges à éviter dans la formulation de sa raison d’être.
La raison d’être de votre entreprise est une ressource fondamentale : elle dit qui vous êtes, ce qu’il manquerait si vous n’existiez pas, le sens profond de votre action et l’intention que vous mettez dans votre avenir.
En somme, la raison d’être doit permettre de répondre à une question simple : à quoi sommes-nous fondamentalement bons ? Et c’est cette réponse qui va définir les contours de votre champ d’innovation. Lorsque Tesla écrit que sa mission est “d’accélérer la transition mondiale vers un schéma énergétique durable”, elle affirme son champ d’excellence, et en creux les territoires où elle n’ira pas. Elle se donne le droit de développer des panneaux solaires et des systèmes de smartgrid, ou de faire la première campagne de crowdfunding automobile pour sa Model 3 (14Mds$ de précommandes tout de même !). Elle s’autorise à ne pas se concentrer uniquement sur des innovations en lien direct avec conception et la production d’une voiture… mais sans se perdre non plus. Toutes ces innovations font sens, parce que toutes sont dans le champ de sa raison d’être.
Partagée et appropriée par tous vos collaborateurs, à la fois parfaitement explicite et omniprésente par son absence, la raison d’être devient ainsi la matrice de vos décisions. Et en particulier lorsqu’il s’agit de se mouvoir non seulement dans l’incertain mais dans l’inconnu : les raisons qui sous-tendent vos décisions auront dans ce contexte plus d’importance que les décisions elles-mêmes. Ce sont ces raisons qui créeront de la cohérence et donc de la réussite dans la durée, alors même que vous devez enchaîner des prises de position hasardeuses et parfois contradictoires, lorsque l’environnement subit un énième retournement, qu’il soit technologique, réglementaire, environnemental, …
Tenir le cap en tirant des bords pour avancer dans l’inconnu, c’est bien de cela qu’il s’agit lorsqu’on parle de stratégie d’innovation, et la raison d’être de votre entreprise est le seul point fixe à l’horizon.
En ce sens, le Chief Innovation Officer du “monde de demain” serait donc bien le premier bénéficiaire de la loi PACTE en France, et du mouvement “purpose centric” popularisé entre autres par notre ami Simon Sinek et son fameux “Start with why” (vous pouvez vous concentrer sur les 6 premières minutes seulement !).
Comment bien utiliser cette raison d’être et quelles-sont les conditions pour en faire la boussole de votre innovation et un levier pour dépasser le théâtre de l’innovation ?
Nous verrons cela dans le prochain et dernier article de notre série.
A bientôt !
La team Innovation : Alexandre Gaillouste // Matthias Laurent // Thomas Chappuis
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