L’appel d’air de la loi PACTE vers une nouvelle définition de l’entreprise.
L’intention revendiquée de la loi est de donner aux entreprises un cadre et des leviers pour innover et se transformer, dans un monde en pleine mutation et qui a besoin d'acteurs économiques aux côtés des Etats et de la société civile.
Le rôle politique et sociétal de l’entreprise a été réaffirmé via la modification de la définition de la société dans le Code Civil et l’introduction des concepts de raison d’être et de société à mission (art 169 et 176). C’est une nouvelle définition de l’entreprise qui émerge, avec une finalité à la fois économique et sociétale. Il devient non seulement possible mais surtout plus efficace de conjuguer sociétal et performance économique. Le «et» remplace enfin le «ou».
La société à mission est une ‘société à raison d’être’ qui s’auto-contraint en inscrivant non seulement sa raison d’être, mais également les engagements associés dans ses statuts, et qui s’oblige à un nouveau mode de gouvernance et à la transparence.
Revenons donc sur ce concept de raison d’être : « Forme de doute existentiel fécond permettant de l’orienter vers une recherche du long terme », « cadre pour les décisions les plus importantes (…) qui mérite d’être explicité » selon l’exposé des motifs du projet de loi, l’entreprise est invitée à mener un travail de réflexion sur son identité, son essence profonde et sa vocation, à rallier son écosystème dans cette introspection, et à repenser son mode de gouvernance pour être à même de s’adapter en continu, incluant son modèle économique.
Cette vision sociétale guide le projet de l’entreprise dans des enjeux de long terme. C’est également une démarche fondamentalement ancrée dans un projet collectif, mobilisant l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise sur le long terme, emportant ainsi leur adhésion et leur appropriation. Le piège de la raison d’être : s’en tenir au « pourquoi » sans aborder le « comment ».
La loi précise que la raison d’être doit s’accompagner d’un « comment » pour en garantir l’exécution : « les principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Sans analyser les qualités des raisons d’être communiquées depuis quelques mois, on peut néanmoins interroger le fait que rares sont celles qui précisent les engagements qui la feront vivre. Or nous recensons 4 risques à ne pas associer des engagements à sa raison d’être :
1. Un risque de réputation
Sans engagements, la déclaration d’un positionnement sociétal appuyé n’est qu’un vœu pieu. Il y a un fort enjeu de réputation pour l’organisation pour être à la hauteur de sa prise de position en s’engageant sur le chemin de la raison d’être.
2. Une incompréhension
Sans engagements, la raison d’être reste un objet conceptuel, voire éthéré, même s’il peut être aspirationnel sur une vision de long terme. Seule, elle aura du mal à être comprise par toutes les parties prenantes et à créer une identité commune, partagée par tous. Sans lignes directrices et leviers d’action, chaque partie prenante peut s’approprier la raison d’être selon sa propre problématique, ce qui éclipsera l’intention de cohérence du projet d’entreprise, de l’organisation et de ses actions.
3. Une faible appropriation
Sans engagements, la nécessaire appropriation de la raison d’être par les parties prenantes est difficile, ce qui peut l’empêcher d’infuser dans l’ensemble des activités de l’organisation. La vision de long terme de l’organisation doit emporter l’adhésion de tous pour qu’elle infuse de manière efficace et durable.
4. Un impact limité
Sans engagements, la raison d’être aura du mal à être traduite de manière opérationnelle dans l’ensemble du périmètre de l’organisation. Elle ne pourra pas remplir en actes et en résultats son intention et donc avoir la portée qu’elle pourrait avoir.
Seule une raison d’être associée à des engagements singuliers a un pouvoir transformateur à long terme. Pour être légitimes, ces engagements
trouvent leur source dans la singularité de l’entreprise, dans des renoncements et des choix de combats forcément spécifiques.
C’est cette condition nécessaire qui permettra d’activer tout le potentiel de la raison d’être, de rendre des comptes et de piloter avec ses parties prenantes la démarche de progrès enclenchée et assurer une transformation réelle de l’entreprise.
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Jean-Noël Felli, Associé fondateur de Balthazar & membre de la Communauté des Entreprises à Mission
Anne-France Bonnet, Présidente de Nuova Vista & co-initiatrice de la Communauté des Entreprises à Mission
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