Le client a toujours raison. Nous connaissons tous cette maxime clamant la primauté de la voix et des intérêts des clients. Qu’en est-il en 2019 ? Et en quoi nos perceptions et la satisfaction de nos attentes, en tant que consommateurs de produits et services, sont-elles au cœur des préoccupations des entreprises ?
Satisfaire le client : 100 ans de quête
L’expression est née aux États-Unis dans le commerce de détail au début du 19ème siècle. Le client, qui jusque-là était largement tributaire du bon vouloir des commerçants quant à la qualité des produits vendus (malgré l’appel à la vigilance lancé dès l’Empire Romain avec la formule « Caveat Emptor » / « que l’acheteur soit vigilant »), fut dès lors reconnu comme un acteur devant être respecté, considéré et choyé. Et c’est ainsi que la satisfaction client devint un horizon incontournable pour les entreprises, et l’objet de mains efforts et batailles. Satisfaire le client reste de nos jours l’une des priorités clés des organisations.
Pourquoi ? En raison des enjeux économiques qui en découlent et sur la base d’un constat : attirer de nouveaux clients coûte 5 fois plus cher que fidéliser les clients existants. Soutenir l’activité, remporter des marchés et sécuriser le chiffre d’affaires nécessitent donc de chercher constamment à optimiser les indicateurs de satisfaction client (Net Promoter Score, satisfaction des attentes, Customer Effort Score, etc.). Satisfaire le client implique que toute l’organisation s’y mette et que la pleine intégration de l’enjeu s’exprime au travers « d’une culture centrée client ». Au sein d’une entreprise culturellement centrée sur le client, ce dernier constitue une valeur centrale, un phare qui éclaire la mission, la stratégie, les priorités opérationnelles, l’organisation, les modes de fonctionnement, les états d’esprit et les comportements. Logiquement, la place qu’il occupe dans ce type de structure influera également sur la manière dont les ressources sont allouées. Par opposition, une organisation peu centrée client privilégiera ses produits ou l’efficacité de ses processus internes.
En 2019 la culture client est encore trop dans la tête et pas assez dans les tripes.
Mais à en juger par la récurrence de cette notion (culture client) dans la littérature managériale et dans les plans de transformation, les organisations n’y sont pas encore. Il apparaît ainsi que faire du client l’une des composantes fondamentales des systèmes de croyances et de valeurs organisationnels (= culture d’entreprise) n’est pas encore acquis. Et ce, plus de 100 ans après avoir compris que ledit client était autre chose qu’un maillon dans une chaîne transactionnelle. Bien souvent les valeurs affichées (une des composantes de la culture) et les comportements (une des expressions de la culture) ne correspondent pas. Quelque chose n’est pas passé, n’est pas pleinement intégré. Ou alors par une minorité uniquement. À titre d’exemple, nombreuses sont les organisations qui s’attellent à expliciter leur promesse au travers d’une expérience client cible traduite en référentiels comportementaux. Bien souvent, hélas, la lettre l’emporte sur l’esprit. Sessions d’acculturation et formations posturales placent l’enjeu, donnent des clés et un cadre mais l’état d’esprit (l’incarnation) s’efface au profit des recettes, de gestes stéréotypés et de mots répétés selon une logique « bon soldat ». Parce qu’on a dit aux agents de la relation client de le faire. Le client, ce qui est important pour lui, le pourquoi de tous ces efforts ont-ils véritablement pris racine dans l’ADN et dans le cœur des acteurs ? Pas si sûr.
Autre illustration de ce désalignement entre culture organisationnelle et enjeu client : le pilotage des indicateurs de satisfaction. Une organisation peut-elle se targuer d’être centrée client quand seule une poignée d’experts (les équipes marketing le plus souvent) a la connaissance des perceptions client et des scores de satisfaction et que les équipes opérationnelles n’en sont pas informées ou considèrent que tout va bien car le sujet est pris en charge par d’autres ? Conduire des programmes de changement centrés client ne suffit plus. Pour que le client soit véritablement intégré dans les priorités et les états d’esprit, c’est une transformation culturelle profonde que les entreprises se doivent d’engager.
De l’importance des rituels pour ancrer l’enjeu client et animer l’amélioration continue
Au sein d’une entreprise dont la culture est centrée sur le client, ce dernier occupe le devant de la scène non seulement dans le système organisationnel de valeurs et de pratiques, mais également dans les cœurs et dans les têtes. Parmi les briques fondamentales qui consacrent et réaffirment ce qui est important pour l’organisation, et structurent l’action en conséquence, portons notre attention sur les rituels. Sans eux pas de ciment culturel. Le psycho-sociologue canadien Erving Goffman définit ainsi un rituel : « un acte formel et conventionnel par lequel un individu manifeste son respect et sa considération envers un objet de valeur absolue, à cet objet ou à son représentant ». Si le client est important pour l’entreprise il doit trouver sa place dans ses rituels managériaux.
À la fois piliers et expressions de la culture organisationnelle, ceux-ci affirment ce qui est prioritaire, fédèrent, donnent des règles pour l’action et l’initient. Ils sont répétitifs (ancrés dans les habitudes), collectifs et opèrent selon un format stable. En tant qu’occidentaux, héritiers des Lumières et des grecs, notre foi en la raison (« logos ») est sans limite. D’où une tendance à aborder les transformations culturelles par l’énonciation d’orientations cibles en pensant que les comportements vont naturellement suivre. La transformation par le rituel prend le contre-pied de cette approche en donnant la primauté à l’action collective et à l’expérience. Au-delà de ses caractéristiques élémentaires (récurrence, dimension collective, etc.) le rituel renvoie au sens, à des valeurs qu’il ancre par la répétition dans les comportements. On ne transforme pas par décret, on transforme par l’expérience et c’est cela que le rituel permet. Intégrer le client dans les rituels managériaux peut prendre diverses formes mais dans tous les cas la mesure de la satisfaction client doit devenir un repère collectif essentiel.
« On ne manage bien que ce qu’on peut mesurer » disait Peter Drucker.
Parmi les bonnes pratiques mises en œuvre chez les clients de Balthazar : rituels de partage des scores de satisfaction client auprès des équipes terrain pour rythmer un cycle d’expérimentations (transport ferroviaire) ou encore ritualisation de points 5’ lors desquels on tire au sort la posture de relation client que l’équipe va tester et améliorer ce jour-là (restauration de concession). Dans les deux cas, le principe est l’amélioration continue articulée autour d’une mesure partagée de la satisfaction et des perceptions du client.
Bien évidemment, la culture centrée client se joue à tous les étages. À commencer par les équipes de Direction dont les rituels doivent eux aussi intégrer le client, ses perceptions, la mesure de sa satisfaction et la stratégie associée (ce qui n’est pas toujours le cas, même dans les grands groupes). Parmi les CODIR et COMEX les plus avancés, certains vont jusqu’à intégrer dans leurs rituels le client lui-même au travers d’une chaise vide qui le symbolise (à l’instar de Jeff Bezos qui fut un précurseur en la matière dès la naissance d’Amazon, entreprise fondamentalement centrée client s’il en est). C’est peut-être là le prochain horizon de la culture client : dépasser le paradigme de la relation vers le client (dans laquelle ce dernier reste toujours une entité externe, une cible à modeler et atteindre), pour s’inscrire dans une relation avec le client.
Par Julien GRANDCHAMP.
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