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Loic LAMARLERE

Arrêtons de chercher à innover, redevenons innovants... et si la réponse était dans notre ADN ?

Fondation

L’innovation dans l’entreprise – trop souvent réduite à des fétiches technologiques – tient une place à part dans la liste des sujets à la mode, dont il convient de bien saisir la nature. À l’origine d’une entreprise qui a réussi et a prospéré, il y a presque toujours une innovation (comprise au sens large). En effet, à de rares exceptions près, l’entrepreneur qui fonde une entreprise porte un regard novateur que ce soit sur un problème, sur des consommateurs ou plus largement sur le monde. Cela se traduira in fine par une invention technique, un nouveau business model, une nouvelle façon d’aborder un marché, l’identification d’opportunités cachées, peu importe. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’élan de l’innovation est consubstantiel à l’élan de fondation et qu’il s’encode dès le départ dans l’ADN de l’entreprise. On peut également affirmer, sélection naturelle oblige, que beaucoup des entreprises qui existent durablement apportent – ou ont apporté – au monde, d’une manière ou d’une autre, une innovation qui lui est propre et singulière.

Dans les premiers temps, cela se traduit d’ailleurs habituellement par un puissant esprit de conquête et d’adeptisation : l’énergie de « la sortie du garage » est puissante et contagieuse parce qu’à ce stade, la verticalité du projet et de la vision qui le sous-tend sont perceptibles et lisibles.


Sédimentation

Puis, avec la structuration de l’activité et la taille croissante, on constate que cette dynamique originelle a tendance à s’épuiser et l’innovation à dépérir. Les symptômes sont connus : regards rivés sur la concurrence et obsession des benchmarks, innovation à contretemps (trop tard ou trop tôt), fausses bonnes idées qui ne répondent à aucun besoin, vraies bonnes idées étouffées ou autocensurées… Un double phénomène est alors à l’œuvre : Le premier tient à l’appréhension du risque.

En effet, une entreprise, tout comme les individus, a en vieillissant, systématiquement tendance à s’assagir. Si un jeune entrepreneur convaincu de son projet peut jouer son va-tout sur sa vision, son entreprise – une fois devenue plus âgée – a progressivement généré des organes plus conservateurs de sécurisation, d’évaluation, de limitation et de mitigation de ses prises de risques (processus budgétaires, comités stratégiques, d’engagement, études, tests consommateurs, focus groups…). De telles fonctions sont bien entendu essentielles pour la pérennité d’une organisation, mais elles ont une tendance naturelle à l’inflation et peuvent dans certains cas devenir beaucoup trop pesantes (processus de validation lent et bureaucratique, par exemple). Fondamentalement, c’est l’illusion de risques scientifiquement objectivés et quantifiés, qui se heurte à l’indétermination intrinsèque à l’innovation.

Le second tient à la perte de l’étincelle originelle. S’il n’est pas entretenu et protégé, ce regard nouveau des débuts (raison d’être, « why ») peut aisément faire l’objet de confusion, s’altérer, voire être détourné. Ainsi, l’organisation n’a bien souvent plus conscience de sa finalité singulière, et c’est le « how » ou le « what » qui ont été érigés en paradigmes de substitution. L’entreprise est ainsi véritablement en panne d’inspiration. Perdue, elle répète mécaniquement les recettes du passé dans un monde différent ou dépense une énergie considérable à copier les produits ou méthodes de ses concurrents. Dans le premier cas (Kodak), elle croit être fidèle à elle-même mais a perdu de vue l’essentiel, dans le second (Sony, dans ses tentatives de rattraper l’iPod), elle cherche à être quelqu’un d’autre et joue à contre-emploi.


Transformation

Qu’elle soit prioritairement menée à cette fin, ou que ce soit un bénéfice secondaire, la transformation d’une organisation induit une réactivation de sa dynamique d’innovation. Pour ce faire, 4 leviers sont idéalement à activer conjointement :


1. La réactivation de la raison d’être

La transformation d’une organisation implique ainsi d’abord de porter son regard sur le passé pour retrouver sa raison d’être, sa singularité : quel regard particulier l’entreprise porte-t-elle sur le monde, pourquoi est-elle là ? Qu’est-ce que cela signifie en 2020 ? Ce travail de retour aux sources, de prise de conscience et d’actualisation, est déjà en soi extrêmement fertile puisqu’il permet d’avoir un angle singulier et une intention face à un problème. Il va ensuite s’agir de protéger et de vectoriser cette raison d’être dans l’organisation. Cela s’opère par la mise en place de contraintes que l’entreprise se donne à elle-même et s’oblige à honorer au nom du respect de sa singularité.


2. La mise en place de protections

C’est dans ce cadre-là qu’il nous semble le plus pertinent d’envisager les dispositifs « classiques » dédiés à l’innovation (hothousing, Lab, Factory, etc.). Bien conçus et animés, ces dispositifs, en changeant de cadre, opèrent ainsi un double rôle de protection. Protection de la singularité d’une raison d’être d’une part, protection contre les « anticorps » sédimentés du système d’autre part. Ces « anticorps », habituels, sont autant des résistances liées aux habitus (règles, procédures, manières de faire qu’on doit suspendre ou réviser), que des paradigmes anciens à actualiser.


3. Le recadrage des représentations

Au cœur de toute transformation, il y a bien sûr la question des représentations mentales, des paradigmes, des croyances, des systèmes d’obligations, d’interdits d’appartenance… qui pour être implicites et inconscients (à des degrés divers), n’en sont pas moins extrêmement agissants. Et au-delà des prises de conscience et des explications rationnelles, c’est bien l’expérience vécue qui est véritablement transformatrice. L’enjeu est alors de repérer les représentations collectives qui pénalisent l’innovation (« la vérité est à l’intérieur », « on a toujours été innovant », « on est là pour toujours », « on est innovant mais incompris », « innover c’est avoir des idées, être créatif », « pour être innovant, il suffit de demander aux gens ce qu’ils veulent ») et de multiplier les expériences recadrant ces croyances. Ainsi, à titre d’exemple, une question qui se pose à nous serait : quelle expérience élégante et écologique devrions-nous faire vivre à l’organisation pour arrêter de vouloir trouver des solutions (solution finder) et se mettre à résoudre des problèmes (problem solver) ?


4. Les environnements de travail ne sont pas des gages ou des catalyseurs de l’innovation, très peu d’entreprises ont en revanche pris conscience du formidable levier qu’offrent les lieux physiques, Les environnements de travail seuls ne sont pas les outils de travail. Bien au-delà de leurs fonctionnalités, ces éléments tangibles expriment des choses de nature symbolique et ont le pouvoir d’affecter l’organisation – dans la vitesse de son horloge interne, dans son rapport à l’ouverture et « au dehors », dans son rapport au consensus ou à la confrontation etc. Ils peuvent ainsi être mis au service de sa transformation à condition de les mobiliser de manière adroite, en cohérence avec les enjeux précédents de réactivation, de protection et de recadrage. Ainsi posée, l’innovation apparaît comme la résultante d’un travail d’alignement avec l’identité de l’entreprise et comme le fruit d’une verticalité rétablie, consolidée et entretenue de manière volontariste…



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